Une contribution de Jameson Pierre-Louis
Avertissement : Ce billet est une mise à jour d’un article publié initialement sur le blog de la banque mondiale, l’une des deux meilleures propositions qui ont été récompensées en 2019 dans le cadre de la compétition de la Semaine du droit, de la justice et du développement ouvert aux étudiants en droit du monde entier. Sa publication dans cette revue nationale vise à attirer l’attention des acteurs sur cette proposition qui a tout son importance dans l’amélioration du fonctionnement de la Justice en Haïti.
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La pandémie du coronavirus (COVID19) a forcé à maints égards les gouvernements à revoir leurs modèles d’administration de la justice tournés autour du papier et la présence physique. L’Union européenne un pionnier en la matière, à travers la commission européenne pour l’efficacité de la Justice (CEPEJ) lors de sa 34e réunion plénière, le 8 décembre 2020, a partagé la feuille de route et plan de travail du groupe de travail sur la cyber justice. Cette feuille de route vise à trouver des solutions aux défis créé pour les tribunaux et autorités judiciaires par la pandémie, qui incite à mettre en œuvre des mesures innovantes dans les systèmes judiciaires rapidement.
La justice en Haïti fait face bien avant la crise sanitaire engendré par le COVID19 à de nombreux défis. Comme dans d’autres pays, elle est souvent marquée par la politisation de ses postes, l’irrespect des droits fondamentaux et l’impunité. Son fonctionnement est perçu par certains acteurs, comme étant influencé par la corruption. Il arrive par exemple que certains responsables de l’administration de la justice profitent des faiblesses institutionnelles pour faire des services publiques leurs fonds de commerce, des pratiques qui tendent à aggraver la mauvaise situation économique des citoyens. La pratique devenue notoire de détention préventive prolongée est l’une des illustrations les plus symptomatiques des défis qu’elle doit relever. Pour preuve, selon les dernières statistiques disponibles publiées dans le quotidien haïtien Le Nouvelliste du 16 Avril 2019, 85% des prisonniers dans les prisons civiles haïtiennes sont en détention préventives prolongées.
En plus, le pouvoir judiciaire haïtien est dépourvu de techniques et d’outils modernes qui lui permettraient d’aborder et de faire face à ces défis et de traiter plus rapidement des dossiers qui lui sont soumis. De surcroit les tribunaux sont très souvent encombrés, des copies de procédure, d’enquête tardent à être délivrées et les actes de jugement peinent à être signifiés.
Ces situations résultent en une perte de confiance généralisée dans les institutions publiques, à preuve selon les derniers chiffres publiés dans le journal en ligne Loop Haiti en date du 26 avril 2018, 76.37% des citoyens n’ont aucune confiance en la justice.
Motivé par la nécessité impérative pour la justice de fonctionner selon les principes de l’État de droit, de garantir les droits fondamentaux, de se doter de techniques et d’outils modernes afin d’offrir un meilleur accès aux services judiciaires ; et d’assurer le fonctionnement continu du système judiciaire et des services fournis par les professionnels de la justice même en période de crise, et notamment le thème de la Semaine du Droit, de la Justice et du Développement en 2019 : En quoi les nouvelles technologies peuvent-elles contribuer à une réforme du système judiciaire Haïtien, voire à d’autres pays dans des situations similaires?
Je propose aux autorités haïtiennes d’appuyer deux initiatives technologiques en Haïti :
1) Une application l’administration de la Justice
À travers laquelle, on dispensera des formations continues sur les procédures judiciaires, ainsi que des questions plus techniques, en mettant l’accent sur les liens entre ces principes avec les droits fondamentaux et les conséquences du respect et du non-respect de ces derniers sur la vie des individus.
Elle servira de plus à l’évaluation périodique de l’assimilation de ces principes, et des comportements des officiers de la justice le cas échéant. Elle permettra également à ces derniers de recevoir des notifications de nouvelles lois et de plateforme d’échanges au sein de la justice.
2) Une plateforme en créole haïtien, qui pourrait avoir sa version mobile (Android & Apple) avec les objectifs suivants :
a) Divulguer à la population haïtienne les fondamentaux des droits des justiciables et de la procédure en justice.
b) Permettre aux justiciables d’avoir accès aux services de base de la justice, comme prendre un rendez-vous, recevoir la notification des décisions judiciaires les concernant, alerter sur des cas d’erreur ou d’abus, l’accès à un service rapide de questions/réponses et éventuellement des procès à distance.
On pourra également, au-delà des questions purement judiciaires, insérer sur la plateforme des questions d’enquêtes, afin de recueillir des données sur la situation économique des justiciables plus généralement.
Le contenu de ces applications sera à l’initiative d’une collaboration inter-organisationnelle qui inclura des agences du gouvernement notamment le Conseil supérieur de la Justice (CSPJ), le Ministère de la Justice et de la sécurité publique et des représentants de la société civile.
Je tiens particulièrement à préciser que :
- Ces propositions s’inscrivent dans le cadre général des objectifs de l’Administration haïtienne, y compris les dispositions légales suivantes :
- Le décret du 29 Janvier 2016 reconnaissant le droit de tout administré de s’adresser à l’Administration publique par des moyens électroniques
- La loi du 26 octobre 2018 sur l’assistance juridique.
- Le décret du 17 mai 2005 sur l’administration centrale de l’État consacrant la participation citoyenne comme l’un des principes fondamentaux de la gestion de la chose publique.
- De diverses dispositions du code pénal et du projet de code de procédure pénale
- Le principe d’adaptation qui fait injonction aux pouvoirs publics d’adapter leurs moyens d’actions aux réalités et besoins sociaux.
- Bien qu’il y’ait des efforts à faire en matière de législation, ce ne sont pas les règles qui manquent en Haïti. Nous sommes membre de beaucoup d’organisations telles que L’ONU et L’OEA. Nous sommes signataire de la plupart des conventions et règlements internationaux sur les droits de la personne et de l’accès à la justice. Ce qui manque, en revanche, c’est une connaissance et mise en œuvre de ces principes à travers le pays.
Ce à quoi nous visons, c’est-à-dire : aider les responsable de la justice d’avoir un meilleur contrôle du système judiciaire, renforcer la connaissance des normes de justice des protagonistes afin de permettre une plus grande application de ces derniers, les sensibiliser sur leurs conséquences sur la vie des citoyens ; Permettre, particulièrement aux citoyens faisant partie des groupes les plus vulnérables, d’avoir une meilleure connaissance des fondamentaux du droit, et de leurs droits fondamentaux. Et ainsi contribuer à la réduction des détentions préventives prolongées illégalement.
En outre, ces initiatives seront instigatrices de création de nouveaux emplois dans la justice et la permettra de disposer des ressources nécessaires pour être plus à l’écoute des citoyens.
En conclusion, j’invite les acteurs concernés à soutenir l’incorporation de ces initiatives dans l’administration de la justice en Haïti. L’adoption de ces initiatives permettrait au pays d’être un pionnier de la région Amérique latine et des Caraïbes dans l’e-justice et un modèle pour les nations en développement en la matière.
En outre votre soutien contribuera non seulement à offrir un meilleur accès à la justice au peuple haïtien et à l’établissement de l’État de droit, mais également au renforcement des capacités des groupes vulnérables, à la réduction de la pauvreté, au renforcement de la participation citoyenne, ce qui ne peut être que bénéfique à la démocratie et favoriser la prospérité en Haïti.