Le secrétaire général des Nations unies a annoncé jeudi la création d’un groupe de haut niveau visant à mieux coordonner le travail d’encadrement des technologies numériques. La conseillère fédérale Doris Leuthard ainsi que Jack Ma et Melinda Gates en feront partie.
Le dialogue sur les technologies numériques est anarchique. Au vu des enjeux qu’il comporte pour la société d’aujourd’hui et de demain, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, juge qu’il est temps de faire de l’ordre.
Jeudi, il a annoncé la création d’un groupe de haut niveau sur la coopération numérique présidé par Melinda Gates, cofondatrice de la Bill & Melinda Gates Foundation, et Jack Ma, président du groupe Alibaba. Le patron de l’ONU le constate: «Les technologies numériques ouvrent la voie à des changements d’une ampleur, d’une portée et d’une rapidité sans précédent, mais la coopération internationale en cours et les moyens mis à disposition ne sont pas à la hauteur de l’enjeu.»
Aucune vision commune
Le groupe, dont le secrétariat sera aussi bien à New York qu’à Genève, va se réunir en septembre dans la Grande Pomme et en janvier en Suisse. Il comprend une riche palette de ministres de différents pays, dont la conseillère fédérale Doris Leuthard, mais aussi des universitaires, le secteur privé, des ONG, des hauts fonctionnaires.
Vice-directeur de l’Office fédéral de la communication, Thomas Schneider explique: «Le groupe de haut niveau a un objectif clair: débloquer un débat qui n’avance plus depuis le Sommet mondial de l’information de Tunis en 2005 entre les différentes organisations et acteurs impliqués dans les discussions autour du cyberespace. Personne n’a pour l’heure une vision commune pour mieux coopérer.»
Codirecteur exécutif du groupe avec Jovan Kurbalija, responsable de la Geneva Internet Platform, l’ambassadeur indien Amandeep Gill renchérit: «Il y a urgence, car la rapidité et l’étendue des développements technologiques dans ce domaine dépassent la capacité des gouvernements et des organisations internationales à traiter de toutes ces questions d’une grande complexité.»
Mais l’ambassadeur indien le souligne: «Le sentiment d’urgence vient aussi des sociétés technologiques. Elles sont conscientes que la relation qu’elles ont avec leurs clients a été endommagée par différents scandales, notamment celui de Facebook avec Cambridge Analytica. Ces sociétés veulent désormais aller de l’avant en s’assurant que leurs clients et que les Etats ont confiance dans leur capacité à gérer ces puissantes technologies.» Le monde reste très divisé. Le secteur privé a ses priorités, certains Etats comme la Chine ou la Russie seraient favorables à un traité, d’autres s’y opposent.
Si le Brésil, le Mexique, l’Inde ou encore le Danemark ont manifesté un vif intérêt pour la création du groupe, c’est qu’ils y voient un vrai besoin. Plusieurs processus électoraux en Allemagne, en France ou aux Etats-Unis ont été la proie d’interférences cybernétiques. Ces démocraties souhaitent pouvoir s’en prémunir.
La Suisse a joué un rôle majeur dans la création de ce panel. Elle en est le principal bailleur de fonds. Son intérêt est manifeste: la Confédération se positionne de plus en plus dans le débat sur la gouvernance de l’internet au même titre que le canton de Genève. Les propos de Brad Smith, patron de Microsoft, tenus l’an dernier sur une possible convention de Genève numérique, ne sont pas tombés dans l’oreille d’un sourd.
Conclusions en avril 2019
La Genève internationale dispose d’un écosystème qui s’y prête particulièrement. Avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l’Organisation internationale pour les migrations en son sein, Genève est bien placée pour traiter des problèmes découlant du big data et de la protection des migrants et réfugiés.
L’Organisation mondiale du commerce et la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement sont bien outillées pour développer un cadre commun en matière de commerce électronique.
L’Union internationale des télécommunications est naturellement très concernée par la gouvernance d’internet.
La Commission économique des Nations unies pour l’Europe, installée au Palais des Nations, fait office de pionnière, prenant à bras-le-corps la régulation relative aux voitures autonomes. «C’est à Genève que la technologie rencontre l’humanité», précise Jovan Kurbalija, codirecteur exécutif du groupe de haut niveau dont le mandat s’étend sur neuf mois et qui livrera ses recommandations en avril 2019.
Quant à Melinda Gates, elle en est convaincue: «La technologie n’est ni bonne ni mauvaise. Ce n’est qu’un outil qui demeure très puissant» et qui devrait être accessible à tous, y compris aux plus pauvres et aux plus vulnérables. «L’objectif du groupe de haut niveau est, conclut-elle, de faciliter cette autonomisation à l’échelle mondiale.»
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